Une carte de famille monoparentale ou un statut de parent isolé ?
La Collective des Mères Isolées était conviée au Ministère de la santé et des solidarités à l’occasion de la rencontre nationale « monoparentalité et pauvreté : analyses croisées et pratiques inspirantes », coordonnée par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté ». Deux tables rondes orchestrées par Jean Laurent Lastelle (délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté) : l’une sur les principaux enjeux des politiques publiques afférant à la monoparentalité, l’autre sur les éléments de réponses publiques apportés à la précarité des familles monoparentales.
Ouverture du débat par Anne Rubinstein, déléguée interministérielle à la lutte contre la prévention et la pauvreté, qui a confirmé par les chiffres combien la monoparentalité est une bombe sociale à retardement. Constat sans appel, rappelé également par madame la Ministre Sarah El Haïry. Merci. Si en 2015 35% des familles monoparentales étaient pauvres, en 2021 on en recensait 55%. Plus préoccupant encore, 40.5% des enfants issus des foyers monoparentaux grandissent en dessous du seuil de pauvreté et transmettront cette précarité en héritage à la France de demain. L’enjeu politique et économique est de taille donc, à l’échelle municipale aussi bien qu’à l’échelle locale, merci de l’avoir rappelé. Une carte de famille monoparentale sera-t-elle une réponse suffisante ?

La Collective des Mères Isolées alerte depuis 2022 sur l’urgence à apporter des réponses d’envergure. Elle est entrée en campagne pour les présidentielles avec un programme en 22 mesures ciblant 5 priorités pour permettre l’accès au travail, au logement, à la santé, à l’éducation, à la culture et aux loisirs des familles monoparentales. Un premier élément de réponse vient d’être apporté et confirmé par la sénatrice Colombe Brossel, une promesse de campagne tenue : le complément de mode de garde sera bien prolongé jusqu’aux 12 ans de l’enfant. C’est en effet un premier levier d’action majeur qui permettra d’enrayer pour partie le continuum des violences économiques faites aux familles monoparentales. Un deuxième élément de réponse a été apporté également avec la proposition de création d’une carte de famille monoparentale, à l’image de la carte famille nombreuse créée en 1921. Cette proposition est portée par le sénateur Xavier Iacovelli et soutenue par le sénat. La Collective des Mères Isolées se permet néanmoins d’émettre quelques réserves si cette seule réponse devait éclipser la proposition de création d’un statut de parent isolé, car l’échelle des enjeux est très différente.
En effet, si la Collective des Mères Isolées salue bien sûr l’engouement politique autour des enjeux liés à la monoparentalité, elle appelle à des réponses à la hauteur des enjeux. Si l’on dénombrait en 1990 12% de familles monoparentales, leur nombre a aujourd’hui doublé. Elles représentent 1 famille sur 4 en 2021. Et rappelons-le, puisque ce n’est pas ainsi que la question est abordée en hauts lieux, c’est une question genrée. Dans 85% des cas ces familles sont portées par des mères, lesquelles pour une sur trois sont sans emploi et de facto précarisées par la séparation qui implique une perte de revenu de 28%. Et c’est sans compter le différentiel de revenu femme / homme de 8% à 10% en moyenne et le différentiel de revenu père / mère induit par la maternité (de 28% à partir de 1 enfant, 65% à partir de 2 enfants et de 135% à partir de 3 enfants et plus).
Les niveaux de discrimination se surajoutent donc les uns aux autres. Être mère isolée fait véritablement une différence et ce n’est pas l’unique différence. La Collective des Mères Isolées a pu mettre le doigt lors de cette concertation ministérielle sur les angles morts du discours national. Quid des familles croisant des situations de handicap ? Ici encore il s’agit pareillement d’une question genrée. Dans 9 cas sur 10 le parent aidant est la mère, et dans 33% des cas ces familles en situation de handicap sont des familles monoparentales avec un effet triple peine pour ces mères isolées et ces enfants en situation de handicap. N’aurait-il pas aussi fallu rappeler que 8% des familles monoparentales sont portées par des femmes racisées et que là encore, du fait de la rigidité systémique d’une France qui peine à suivre l’évolution du paysage social, c’est un double effet de minorisation qui s’opère. La Collective rappelle donc l’importance de s’emparer des problématiques afférant à la monoparentalité dans leur pleine réalité. Elle rappelle son combat pour visibiliser une réalité entière et qui est celle des mères isolées en France, tous profils socio-géographiques confondus. Si la Collective est née à Montreuil en 2020, elle rassemble aujourd’hui des mères de toute la France. Et elle revendique de porter la voix de toutes.
Cette concertation nationale avec l’ensemble des acteurs politiques, économiques et sociaux avait comme objectif de pouvoir rédiger un livret des pratiques inspirantes qui sera diffusé cet été afin d’envisager un plan d’action à destination des familles monoparentales.
Certaines initiatives locales en ont inspiré d’autres, et elles doivent nous montrer la voix. A titre d’exemple, la ville de Ris Orangis, sur initiative précieuse de son maire Stéphane Raffalli, a emboîté le pas à la proposition de loi de création d’un statut de parent isolé portée par la Collective des Mères Isolées. Stéphane Raffalli l’a rappelé, il a fait voter le premier statut municipal de parent isolé composé de 21 mesures afin de donner de l’élan et de guider les politiques nationales. Les municipalités de Montpellier et de Dijon lancent désormais également leurs plans sur la monoparentalité. Ces avancées locales appellent à une harmonisation des pratiques à l’échelle nationale. Une question dont Juliette Méadel, Ministre déléguée auprès du ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, chargée de la Ville, doit se saisir afin de prévenir les iniquités de traitement territoriales.
Il s’agit là de s’emparer de questions d’égalité républicaine à échelle nationale, et grand merci à la Ministre Aurore Bergé, en charge de l’égalité femmes hommes, de l’avoir rappelé. La société a trop longtemps déresponsabilisé les pères. Le combat des familles monoparentales est donc un combat pour l’égalité des droits, pilier central de la proposition de loi portée par la Collective des Mères Isolées qui vise la création d’un statut. Si la carte de famille monoparentale peut présenter certains avantages, elle ne garantit en rien des droits en matière de travail, de santé, de logement, d’éducation, de culture et de loisirs. C’est l’enjeu central de cette proposition de loi que nous avons remis entre les mains du député Philippe Brun et d’une coalition transpartisane de députés. Il ne s’agit pas de négocier des privilèges, mais de garantir des droits auquel 1 enfant sur 4 n’a pas accès aujourd’hui en France.
Il s’agit donc de réfléchir à l’efficience des réponses apportées. Grand sujet débattu lors de la concertation : l’ARIPA (dispositif de recouvrement des impayés de pension alimentaire). Si les uns et les autres s’accordent à en vanter les mérites, n’est-il pas inutilement onéreux et d’un autre temps ? Nous savons aujourd’hui prélever l’impôt à la source, pourquoi ne pas se calquer sur le système canadien, et envisager le gain budgétaire que représenterait le fait de prélever la pension alimentaire à la source ? Le député Philippe Brun qui s’est emparé de chacune des propositions de la Collective des Mères Isolées, l’a calculé : un prélèvement à la source serait un gain monumental dans les caisses de l’Etat. Il s’agit également de penser des mesures qui ne se contentent pas de réorganiser les moyens, mais de réformer nos institutions devenues obsolètes à la lumière des mutations de la société d’aujourd’hui. Les modes de calcul de la pension alimentaire à titre d’exemple ne doivent-ils pas être repensés puisqu’il existe 2 barèmes de calcul différents, l’un de 2010 établi par le ministère de la justice et l’autre de 2018 établi par l’ARIPA, mais que ni l’un ni l’autre ne tiennent compte des besoins effectifs de l’enfant. Un enfant coûte en moyenne 750€ par mois, merci à Laurence Rioux, secrétaire générale du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, de l’avoir rappelé. Le calcul de la pension ne devrait-il donc pas prendre en compte avant tout l’intérêt premier des enfants et non les revenus du parent non gardien ? Elle a rappelé également qu’1/3 des pensions alimentaires demeuraient impayées et ce malgré l’action de l’ARIPA. D’ailleurs, a rappelé l’ex-députée Aude Luquet, le cadre fiscal qui régit cette pension alimentaire si mal nommée est très injuste. La pension alimentaire est fiscalisée pour le parent gardien et défiscalisée pour le parent non gardien. Elle est dans les faits une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et ne devrait en aucun cas faire l’objet d’une ponction fiscale. Rappelons donc que la proposition de loi de défiscalisation de la pension alimentaire déposée par Aude Luquet attend juste une signature, et que, nous Collective des Mères Isolées et dans ce même sillage la Fondation des Femmes relayons aussi cette proposition de défiscalisation de la pension alimentaire. Cela suffira-t-il ? Toujours pas. La Collective des Mères Isolées avance de front également avec l’association « Parents et féministes » sur les questions de congé parental. Ne faudrait-il pas pour les mères isolées doubler le congé maternité, ainsi que les jours de congé enfant malade pour compenser l’absence d’un deuxième parent ? Là encore, c’est une question d’équité entre familles monoparentales et familles en couple.
Vous l’aurez compris, une carte de famille monoparentale et des avantages à la consommation, quand les inégalités sont si ancrées et que dans 29% des cas les familles monoparentales font l’objet de privations alimentaires peut sembler un choix étrange. Encore faudrait-il avoir les moyens de consommer. Quand la case loisir du budget est amputée par l’absence de revenu, c’est donc loin d’être une réponse suffisante. Et avons-nous omis de parler du déclassement social ? Car selon le rapport de l’IRES 2022, il faudrait justifier d’un revenu de 3003 euros par mois pour une famille monoparentale avec 2 enfants pour prétendre à une vie décente. Combien de familles, en raison de l’inflation constante, ont basculé en dessous du revenu minimum décent et subissent de plein fouet les privations à la consommation ?
La Collective des Mères Isolées vous invite donc à réétudier l’ensemble des propositions établies dans sa proposition de loi. Elle a un rendez-vous à venir au cabinet ministériel en charge de la cohésion sociale avec Pierre Stecker. L’enjeu majeur est de pouvoir rompre avec le continuum des violences et des discriminations économiques, sociales et politiques. C’est en effet une question d’égalité des chances républicaine, autant qu’une question de cohésion sociale. Aurore Bergé l’a rappelé, il s’agit d’amplifier l’accès aux droits, d’éviter l’exclusion silencieuse et le non-recours, via des actions sociales et fiscales. Un accord cadre doit être signé pour permettre aux femmes et aux enfants de prendre un « nouveau départ » après la séparation. Espérons que les réponses seront à la hauteur des enjeux.

Proposition de loi consultable ici :